Ere digitale : non, nous ne sommes pas tous crétins.

Michel Desmurget - La fabrique du crétin digital

Après « TV Lobotomie », le Docteur en neurosciences Michel Desmurget revient sur le devant de la scène avec son nouvel ouvrage « La fabrique du crétin digital ». Petit aperçu.

TV Lobotomie

TV Lobotomie avait, en 2011, ouvert la voie à des idées alors un peu moins reconnues qu’aujourd’hui, celles relatives à la nocivité des écrans, notamment pour les plus jeunes. Accompagné de centaines d’études pour étayer les dires de l’auteur, le lecteur découvrait les effets délétères de la télévision et pouvait, ou non, adapter son comportement au regard des conclusions.

Avec ce nouvel ouvrage, M. Desmurget surfe sur la dimension médiatique et spectaculaire qu’il avait déjà utilisée avec TV Lobotomie : en effet, la quatrième de couverture était alors composée de conclusions « choc » sorties de leurs contextes pour donner dans le sensationnel dont les médias sont friands, et de surcroît dans le discours culpabilisateur. La peur de « mal » élever nos enfants, voilà un excellent moteur d’achat.

 

Homo Mediaticus

L’auteur est donc un « homo mediaticus », approche qu’il critique pourtant de façon acerbe dès l’ouverture de son ouvrage, mais uniquement lorsqu’il s’agit d’autres professionnels. Un règlement de compte dérangeant contre tous ceux qui ont pu exprimer des avis opposés au sien, histoire d’empêcher littéralement le moindre débat. Pour quelles raisons ? L’auteur qui propose pourtant le fruit d’un travail d’analyse colossal, aurait-il peur de se faire contredire ? Il explique que, convaincu de son propos, il ne supporte plus d’entendre et de lire des approximations et autres fausses vérités. Quoiqu’il en soit, pour vous éviter cette première partie que je pense inutile et gênante de règlement de comptes, je vous suggère de commencer la lecture de l’ouvrage à la page 175. Oui, 175…

Avec son terme « crétin » qui est loin d’être neutre car signifiant en premier lieu une personne présentant un retard mental et troubles du développement physique, l’homo mediaticus passe à l’offensive. Parce que c’est littéralement de cela dont il s’agit. Je cite souvent TV Lobotomie en précisant que les idées de l’auteur sont bonnes, voire excellentes. Notamment car parfaitement étayées scientifiquement, mais poussées à l’extrême. Certes, les écrans peuvent être toxiques dans certains contextes, cela est prouvé et très bien décrit dans l’ouvrage. Mais de là à se passer entièrement d’eux, au regard de leur présence dans nos environnements, cela me semble assez excessif et dangereux. Je le rejoins cependant sur certains points, par exemple le fait que les programmes télé, eux, pourraient totalement disparaître de nos vies sans trop de regrets. J’avais exposé quelques axes de réflexion dans cet article qui évoque le rapport de nos enfants aux écrans.

D’une manière plus générale, les théories doivent être pensées au regard de la clinique, celle que nous, psychologues, rencontrons chaque jour au sein de nos cabinets. Et la clinique, c’est ce qui semble manquer cruellement à l’auteur, qui de toute évidence a rencontré bien plus de textes à l’écrit que de patients à l’oral.

Michel Desmurget - La fabrique du crétin digital
Michel Desmurget – La fabrique du crétin digital

 

Etudes, contre-études et biais.

Alors oui, bien entendu, la validation par expérimentation est le seul dispositif qui permet de valider une hypothèse. Oui, cet ouvrage est une référence en la matière, j’utilise d’ailleurs volontiers certaines des références citées, et je remercie l’auteur pour cela.

Cependant, pour le psychisme humain, la mesure est parfois moins facile à quantifier qu’en physique, chimie ou mathématiques. De nombreux biais peuvent exister dans les études en général, auquel on rajoute que, lorsqu’on étudie les jeux vidéo, il en existe des dizaines voire des centaines de milliers, le choix du support d’étude posant donc d’entrée de jeu un problème. Néanmoins, quand il existe des dizaines ou centaines d’études allant dans le même sens comme le propose M. Desmurget, on ne peut nier leurs conclusions, le risque de laisser apparaître des biais étant alors très bas.

Les chiffres et conclusions d’études présentées dans l’ouvrage sont donc globalement exacts. Il précise par ailleurs les biais à prendre en compte, mais n’en évite pas certains. « Des centaines d’études réalisées sur le sujet depuis des décennies », nous assène-t-il [1], à propos de l’invalidation de l’effet cathartique du jeux vidéo ? Oui, il en existe effectivement quelques-unes, elles sont citées d’ailleurs. Des centaines ? J’en doute un peu plus, et je mets cela sur le compte du goût à l’exagération de l’auteur, qu’il utilise certainement dans le but de mieux convaincre ses lecteurs.

Ensuite, il cite effectivement des contres-études, pour mieux appuyer son argument. Par exemple, le fait que Christopher Fergusson [2] n’observe pas la même chose dans son travail qu’un certain nombre d’autres études quant au lien entre jeux vidéo et violence est effectivement questionnant. Il ne mentionne en revanche pas les biais sur les études qui vont dans son sens, notamment celles d’Anderson[3] (une autre étude de l’auteur est citée p.121), qui expose dès l’introduction sa méconnaissance des jeux qui lui servent pourtant d’objet d’étude.

Une bonne connaissance du média vidéo-ludique ?

Et pour cause, en plus de sembler haïr profondément cette technologie, haine qui transpire tout au long de son ouvrage le rendant difficile à apprécier, on se rend compte que Michel Desmurget ne connait probablement que très peu de choses aux jeux vidéo. A-t-il déjà joué à des jeux vidéo plus de quelques minutes ? Lesquels ? L’a-t-il déjà fait dans un contexte social ? J’invite donc très sérieusement l’auteur à partager une partie avec moi ou accompagné de qui le désire. Un Mario Party ou Mario Kart, un Wii Sports ou un jeu de danse, je serais surpris si l’auteur affirme, à l’issue de cette expérience sociale, qu’il n’y a pris aucun plaisir.

Car, malgré tous ces points décrits négativement, le numérique et, notamment le jeu vidéo, sont également une source de plaisir. Sur les millions de joueurs que compte notre planète, la souffrance liée à l’utilisation existe, mais ne concerne qu’une minorité de pratiquants. Mais comme je n’ai pas de chiffres pour étayer mon opinion, elle ne reste, comme l’indique l’auteur, qu’une opinion.

Monsieur Desmurget utilise, en filigrane, la confusion entre corrélation et causalité, qu’il dénonce pourtant quand il s’agit de déconstruire (plutôt brillamment d’ailleurs) le fait que les jeux vidéo violents entraînent une baisse de criminalité[4]. Il sous-entend, sans nécessairement le préciser, que la corrélation observée entre consommation d’écran et effets délétères veut dire que l’écran en est la cause, alors que ce n’est pas nécessairement validé dans les études en question. Comme dit dans mon précédent article, les écrans ne sont pas la cause du problème en eux-mêmes, ils en sont un élément dans une multitude de facteurs.

Pour conclure

Ce qui est plus discutable, c’est la conséquence de ces révélations. Comme le stipule l’auteur en début d’ouvrage, il n’oblige personne à éduquer ses enfants en fonction des conclusions de son ouvrage. Mais le livre entier reste culpabilisant à souhait. Difficile, d’imaginer un parent refermer cet ouvrage en se disant que non, il ne changera pas sa façon de consommer de l’écran en famille tout en étant simultanément un bon parent. Le message dit l’inverse en permanence, et c’est bien dommage.

Alors oui, le discours informateur est primordial, les effets délétères des écrans sont bels et bien réels et massifs lorsque mal utilisés. La dimension alarmiste à outrance est très vendeuse, l’ouvrage est d’ores et déjà un best-seller, que j’ai vu en « numéro 1 des ventes » lors de mon dernier passage à la Fnac, beau succès commercial. Mais à trop vouloir exagérer un point de vue, le propos perd de son objectivité et donc s’éloigne de son but. Pourtant réfléchir à une utilisation mesurée des écrans est nécessaire. Nous pourrions d’ailleurs nous interroger si, avec un usage modéré, le plaisir de jouer vaut peut-être les quelques petits effets délétères cités, qu’en pensez-vous ?

Visiter le site officiel

Sources

[1] Michel Desmurget – La Fabrique du crétin digital, Seuil, 2019, p.26

[2] Ibid, p.126

[3] Anderson, C. A., & Bushman, B. J. (2001). Effects of Violent Video Games on Aggressive Behavior, Aggressive Cognition, Aggressive Affect, Physiological Arousal, and Prosocial Behavior: A Meta-Analytic Review of the Scientific Literature. Psychological Science, 12(5), 353–359.

[4] Michel Desmurget – op.cité, p. 154

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